Oyez, oyez le noir héraut – par Frédéric Saenen

Fonder une revue de poésie, en misant de surcroît sur le polyglottisme, peut apparaître comme une entreprise insensée à l’époque actuelle ; un défi qui mise à la fois sur la confiance dans le support papier, sur la diffusion d’une parole exigeante et quintessenciée et sur une ouverture d’esprit à 180° – ce qui, dans le chef des contemporains, s’avère trop souvent une déclaration de principe plutôt qu’une authentique curiosité.

Le duo que forment Blandine Longre et Paul Stubbs a relevé le gant. Voici que leur Black Herald (le « Héraut noir », en référence peut-être au premier recueil du Péruvien César Vallejo, publié en 1919) s’avance, élégant et porteur d’illuminations à colporter. Le principe est fondé sur une dynamique simple : proposer des textes d’auteurs actuels ou passés dans leur langue d’origine et les traduire, tantôt en français, tantôt en anglais.

La deuxième livraison de cette jeune publication nous donne donc rendez-vous dans les couloirs de Babel et nous amène à de surprenantes découvertes. Ainsi de Dimíter Ánguelov, Bulgare exilé au Portugal qui livre dans la langue de Pessoa quelques pages de prose mordante, à la lisière du réalisme magique. Avec ses Petits films en prose, échos esthétiques de quelques paragraphes sur Jean Renoir ou Eisenstein, Jacques Sicard envisage chaque œuvre cinématographique comme « une singularité, à savoir une forme détachée de tout » et transmet subtilement l’intime perception qu’il en a reçue. John Taylor a quant à lui traduit des aphorismes de Georges Perros en anglais, dont celui-ci, qui pourrait tenir lieu de programme au Black Herald : « Le poème attrape toutes les maladies. Cobaye. Pour sauver le langage courant. » Et c’est sans compter l’ample équipée des Cavaliers de la nuit qu’évoque Laurence Werner David ou encore la très belle exploration des « territoires de l’absence » signée Jean-Baptiste Monat…

Les découragés d’office qui, à la feuilleter en hâte, ne verront qu’élitisme dans le parti pris de The Black Herald de se tenir au plus près du langage et des langues, passeront à côté d’une revue qui assume de se mettre pleinement au service de la littérature, en jouant son indispensable rôle de passeur. Passeur de mots, de vérités précaires, de risques aussi. Embarquement immédiat !

Frédéric SAENEN

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article paru dans le n°33 du Magazine des Livres (en kiosque)

The Black Herald, Literary magazine / revue de littérature, n°2, septembre 2011, 162 pages, 13,90 €. http://blackheraldpress.wordpress.com

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